Rapport au Conseil des Gouverneurs du CMR par le groupe d'étude Withers
Examen du Programme de premier cycle au CMR Excellence équilibrée :
élément moteur des forces armées du Canada à l'aube du nouveau millénaire
4500-240 (ADM (HR-Mil))
Le 24 septembre 1998
Voir p. (I) de la copie officiele imprimée du rapport
Lorsque nous avons entrepris cette étude, le mandat semblait clairement défini :
« Cet examen a pour but d'assurer à chaque diplômé une vaste scolarité bien établie dans le domaine des lettres et sciences humaines, l'accent portant surtout sur le développement des valeurs, de l'éthique et des aptitudes au leadership nécessaires pour s'acquitter de responsabilités spécifiques et servir le pays. »
Cependant, à mesure que nous progressions, nous avons constaté que loin d'être un simple examen critique du contenu des nombreux cours du programme de formation générale, il s'agissait plutôt d'une étude approfondie des « quatre piliers » du programme en place - académique, formation militaire, bilinguisme et éducation physique - et de leur mode de prestation. Plus particulièrement, quelques-uns de nos premiers interlocuteurs nous ont proposé de fonder notre évaluation en redonnant toute l'importance qui revient à l'épithète « militaire » du Collège militaire royal.
Qui plus est, nous avons découvert une institution en bouleversement. Peut-être s'agit-il d'un terme trop fort pour l'utiliser ici; peut-être serait-il plus approprié de parler d'une institution en transition. Toutefois, la fermeture de Royal Roads et de St-Jean et l'amalgame qui en a résulté à Kingston; l'insistance - dans les médias d'information et ailleurs dans le domaine public - relative à l'ethos des Forces canadiennes après les événements de la Somalie; les demandes constantes de réduction des budgets; les « départs » des diplômés dès leur sortie du terrain de parade pour obéir aux diktats des réductions des effectifs des Forces canadiennes; tous ces facteurs ont concouru à un impact négatif particulier sur le Collège militaire royal.
Nous avons aussi rencontré des personnes « à la périphérie du système » dont les idées et les idéaux sont d'une époque révolue et qui, peut-être, ne sont plus maîtres de la situation pour être en mesure d'adapter leur vision aux nouveaux horizons résultant des forces existantes - militaires, sociétales et contextuelles au plan stratégique - à l'aube d'un nouveau millénaire.
Du côté positif, nous avons constaté une appréciation plutôt tardive, mais bienvenue de la valeur totale du Collège militaire royal pour les Forces canadiennes. Au cours des quelques dernières années, le programme d'éducation permanente a permis à des milliers de militaires de tous grades des Forces canadiennes, d'employés civils du ministère de la Défense nationale ainsi qu'à leurs conjoints de puiser aux richesses éducatives du Collège, ce qui a résulté en une « valeur ajoutée » fortement accrue, pour emprunter un terme cher au Vérificateur général du Canada.
En même temps, nous souhaitons seulement que les Forces canadiennes apprécient, d'une façon encore plus marquée, le formidable outil éducatif, de formation et de recherche qui leur appartient au CMR et qu'elles se l'approprient fermement pour en faire un élément-clé de leurs opérations.
Des centaines de candidats aux études supérieures, tant sur le campus qu'en dehors de celui-ci, se sont ajoutés aux registres; d'importants contrats en matière de recherche pour la Défense ont été réalisés au Collège; la formation nécessaire de spécialistes - par exemple le Programme de formation du personnel technique de la Force terrestre a été rapatrié de l'étranger; les besoins particuliers du ministère de la Défense nationale concernant les habitudes du milieu et les essais des matériels ont été affectés au CMR; et comme nous nous en sommes rendus compte, nous avons amplement ce qu'il faut pour en faire plus afin de respecter deux principes de la guerre : la concentration de l'effort et l'économie de la force. Parce qu'après tout, c'est là la raison d'être d'un collège militaire.
Tout ce préambule pour démontrer que le but que nous devions atteindre impliquait inévitablement une perspective beaucoup plus large. L'analogie que nous servirait probablement un de nos membres qui a consacré quelque 20 ans à l'enseignement médical serait qu'on ne peut pas juger du fonctionnement du coeur en l'absence totale d'étude du reste du corps humain. Et peut-être le CMR est-il au coeur de tout le problème du leadership au sein des Forces canadiennes. Pour nous, la déduction était claire; il fallait examiner la mission du Collège au niveau du premier cycle dans le contexte des Forces canadiennes dans leur ensemble.
Il sera évident, dans notre rapport et les recommandations qu'il contient, que nous considérons le CMR comme « l'université des Forces canadiennes » ou, évidemment, « l'université de la Défense nationale » . On pourra constater que nous favorisons une exploitation même accrue des possibilités qu'il offre pour rehausser la valeur de ce joyau.
Même si nous avons pris en compte les évaluations actuelles et futures de la place que tiennent les universités civiles au chapitre de la formation des officiers, nous savions très bien qu'il n'existait pas chez nous d'université militaire comparable que nous aurions pu examiner. Par conséquent, nous nous sommes tournés vers le sud. Nous avons étudié la United States Military Academy à West Point, NY, et la United States Naval Academy à Annapolis, au Maryland. Nous avons jugé que plutôt que d'étudier d'autres collèges militaires à l'étranger, la société militaire et civile canadienne serait plus facilement en accord avec notre allié militaire de longue date le plus proche.
En outre, nous avons noté qu'Annapolis formait des officiers pour la Marine, l'aéronavale (l'arme aérienne la deuxième en importance au monde), le Marine Corps (une armée plus importante que la nôtre et possédant les mêmes caractéristiques que celles des armes de combat) et les services de soutien, de la même façon que le CMR s'y prend pour préparer des officiers destinés à tous les GPM des Forces canadiennes.
Dans les deux cas aux états-Unis, nous avons constaté que des recherches ont été menées, depuis la fin de la guerre froide, sur les besoins en matière de formation d'officiers pour le nouveau millénaire. Nous avons découvert que les idées qui fondaient notre objectif s'étaient traduites en action concrète dans les programmes des deux académies.
Cela dit, il existe des différences fondamentales entre les académies américaines et le CMR : elles sont restreintes à une formation de premier cycle, alors que le CMR offre toute la gamme des études supérieures; et, bien entendu, du fait qu'elles utilisent une seule langue officielle, les académies américaines n'ont que trois des quatre piliers qui sont nôtres. Aux états-Unis, les institutions de défense de niveau supérieur, renforcées par l'inscription de leurs étudiants au sein d'universités civiles, permettent la réalisation d'études supérieures.
Abstraction faite de ces différences, les académies américaines ont réexaminé attentivement les programmes et modifié leur orientation pour produire l'officier à la formation générale plus vaste dont on aura besoin dans l'avenir. Pour illustrer cette orientation, le motto de West Point est « réaliser l'excellence » . Les deux académies ont renforcé leur approche au chapitre des lettres et des sciences humaines (y compris l'éthique, l'ethos militaire et l'histoire militaire) en accordant une multitude de majeures dans ce qu'il est convenu d'appeler un baccalauréat ès sciences. Et, sur le plan du génie, il s'agit là d'un diplôme pleinement agréé, qui se classe dans le créneau supérieur de toutes les universités américaines.
Aux états-Unis, les statistiques sur le maintien de l'effectif et sur les promotions prouvent amplement que leurs académies militaires atteignent le but. En procédant ainsi, non seulement ont-elles conservé le « pilier militaire » , mais elles l'ont aussi amélioré sans pour autant réduire leur position académique dans le créneau supérieur des universités américaines.
Pour revenir au CMR, nous avons constaté que le pilier académique a fini par prédominer sur le pilier militaire. Ce résultat n'est pas le seul fait du programme du Collège. Tout autant, sinon plus, c'est en raison de l'abandon de l'intégration de la formation militaire efficace dans le cycle total de quatre ans. En termes clairs, les Forces, à l'exception de l'Armée, ont adopté la pratique consistant à concentrer une qualification professionnelle importante sur une période suivant l'obtention du diplôme du CMR. Ainsi donc, on a l'impression, en fin de compte, que le diplômé du CMR n'a pas plus de valeur, ou a même moins de valeur, au chapitre des normes de rendement professionnel, qu'un candidat à l'enrôlement direct (officier) provenant d'une université civile ou qu'un élève-officier diplômé d'une école secondaire.
En conséquence, nous avons proposé un changement d'orientation, fondé sur un modèle à double volet, académique et professionnel, ce qui donnerait un officier totalement formé et tout à fait prêt à être employé dans son GPM une fois diplômé. Comme nous le verrons, notre modèle propose de choisir le GPM durant la deuxième année scolaire et de fixer une période de 16 mois de formation militaire concentrée à la fin de la deuxième année scolaire, ce qui est le point médian de la séquence académique, durant laquelle la formation relative au GPM aura lieu.
également, durant les années scolaires, tout en mettant l'accent sur l'enseignement universitaire, on continuerait d'inculquer les valeurs militaires. Cette façon de procéder ferait passer le programme actuel de 48 à 56 mois pour être diplômé et recevoir un brevet d'officier subalterne. Mais, le produit final serait un officier fonctionnellement bilingue, physiquement apte et entièrement qualifié pour un emploi immédiat, ce qui de fait prendrait une année de moins que ne l'exige le modèle actuel. Il s'agit là sans nul doute de la plus importante de nos recommandations.
Concurremment, nous avons fait plusieurs autres recommandations quant au contexte et à la conduite des cours et de la formation relativement aux quatre piliers, aux synergies à être exploitées grâce à la présence de ceux qui font des études supérieures et aux projets de recherche, au processus de recrutement et de sélection et à la dotation des postes militaires au Collège.
Certaines précisions sont nécessaires en ce qui concerne la dotation en personnel. Même s'il semble évident que l'affectation de militaires devrait être caractérisée par un soin particulier en ce qui concerne le choix de ceux qui sont les mieux qualifiés et les plus performants pour former les leaders de demain et pour que le temps passé au Collège soit considéré comme un « plus pour leur carrière » par les conseils de promotion, ce n'est malheureusement pas le cas. Dans les académies américaines, nous avons observé que les officiers qui doivent y oeuvrer sont préparés avec soin à leur période de service, qu'ils obtiennent en fait une maîtrise en orientation comme condition préalable à leur affectation, qu'ils sont souvent promus durant leur période de service, et qu'à leur départ ils progressent dans leur carrière. Nous recommandons fortement d'imiter la méthode américaine.
Au cours de ses 122 années consacrées au service du pays, le Collège militaire royal a servi avec distinction en temps de paix et en temps de guerre en formant les leaders des forces de défense du pays et, après leur service militaire, en inculquant aux diplômés la même volonté de faire de notre pays un endroit de prédilection grâce à leur performance au sein de l'industrie, des affaires et de la société en général. Vérité, devoir et valeur ont été les mots d'ordre durant ces années : vérité, devoir et valeur doivent demeurer les mots d'ordre qui s'appliquent maintenant au nouveau défi que le Canada, ses Forces et ses habitants doivent relever à l'aube d'un nouveau millénaire. Tout cela nécessitera un changement créatif et concret. Nous osons croire que nos recommandations favoriseront la transition et ajouteront de la valeur à l'avenir qui nous attend.