Rapport au Conseil des Gouverneurs du CMR par le groupe d'étude Withers
Examen du Programme de premier cycle au CMR Excellence équilibrée :
élément moteur des forces armées du Canada à l'aube du nouveau millénaire
4500-240 (ADM (HR-Mil))
Le 24 septembre 1998
Voir : p. 16 de 81 de la copie officiele imprimée du rapport
Dans une période de turbulence et d'instabilité marquées, il est éclairant de revenir aux premiers principes afin de confirmer la base sur laquelle nous nous appuyons pour former et éduquer les officiers militaires de carrière. Par conséquent, comme première question, il y a la nature de la profession des armes. L'une des meilleures définitions qui soient est celle du général Sir John Hackett (dans The Profession of Arms). Selon le général Hackett, la fonction de la profession des armes sous le régime de l'état moderne est l'application ordonnée de la force militaire à la poursuite d'un but social ou d'une valeur sociale. Les expressions clés sont « application ordonnée » , ce qui nécessite des normes professionnelles, une analyse stratégique et une doctrine saine; et « poursuite d'un but social » , impliquant le contrôle ultime du militaire par le politique.
Si l'application de la force militaire est ce qu'un officier militaire de carrière fait, qu'est-ce qui constitue alors les qualifications particulières qui le rendent apte à exercer cette fonction? Samuel Huntington a donné l'une des définitions les plus utiles dans The Soldier and the State. Au sens générique, toute activité censée permettre d'atteindre le niveau professionnel doit nécessiter du savoir-faire, refléter une appartenance corporative et témoigner d'une responsabilité sociale. Prises ensemble, le corpus de connaissances, les traditions et les pratiques particulières inhérentes à l'activité et aux valeurs qui régissent sa conduite, démarquent la profession en question de toutes les autres au sein de la société.
Ce modèle s'applique de façon superbe à la profession des armes. Dans ce cas, le savoir-faire mentionné exige à la fois une vaste formation générale et une masse de connaissances plus ésotériques, souvent techniques, nécessaires à l'application efficace et ordonnée de la force militaire. Une vaste formation générale est requise afin que l'officier de carrière soit en mesure de réagir naturellement aux normes et aux buts politiques et sociétaux qui contrôlent ultimement sa conduite. La responsabilité sociale suppose l'incorporation de normes et de pratiques en matière d'éthique qui, sans égard au fait qu'elles sont modifiées pour s'adapter à la nature particulière de la profession militaire, doivent refléter la société dans laquelle la profession s'inscrit. Ces responsabilités sont contenues dans la masse des connaissances qui constituent la compétence de l'officier. La nature globale particulière de la profession est définie en partie par les responsabilités sociales particulières qui sont acceptées et par la façon précise de les exercer.
Plusieurs éléments définissent l'identité globale de la profession militaire. Les plus importants de ces éléments, selon Huntington, sont l'acceptation d'un contrat de fiabilité absolue et de dévouement désintéressé envers les forces armées et le pays. En soutien de ces engagements, il y a une connaissance exhaustive de l'histoire militaire, des traditions et des pratiques qui se manifestent dans les coutumes et les traditions des régiments et des unités. Dans le cas du Canada, ces éléments sont liés en vertu du service de l'individu dans ce tout englobant et intégré que sont les Forces canadiennes.
Les compétences exigées d'un officier militaire de carrière varient avec le temps et sont fonction des rôles assignés aux militaires dans une société donnée. De toute évidence, les officiers militaires britanniques du XIXe siècle qui assuraient le maintien de l'ordre au sein d'un empire mondial au tout début de la révolution industrielle avaient besoin de connaissances et d'habiletés différentes de celles exigées des officiers des pays coalisés dans le cadre de la Guerre du Golfe en 1991. Cependant, quelle que soit la masse de ces connaissances, il s'agit d'un déterminant clé dans ce qui rend un officier conscient de la nature corporative particulière de sa profession.
Pour les officiers canadiens du nouveau millénaire, le savoir-faire nécessaire comprendra, sans y être limité, la connaissance de la nature et des origines de la théorie militaire et de la façon dont elle influence les opérations et la doctrine. Par exemple, les officiers devraient connaître le modèle de stratégie bipolaire de Clausewitz (peaufiné par l'historien militaire allemand Hans Delbruk). Avec ses deux composantes, c'est-à-dire la stratégie de la destruction et la stratégie de l'attrition, ce modèle étaye la théorie moderne de la guerre limitée, la doctrine des représailles massives, et il s'infiltre dans le concept émergeant actuel des « opérations de guerre latente » . La vision militaire des Jomini, Moltke, Mahan, Corbett, Svechin, Tukachevsky, Fuller, Aron, Brodie et Osgoode, parmi d'autres, est essentielle à la compréhension de la nature réelle de la profession militaire.
Au-delà de la théorie se trouve tout le domaine de la stratégie, des opérations et de la tactique. Nonobstant la thèse de Moltke voulant que la stratégie ne soit qu'une simple affaire de bon sens, la stratégie moderne est un sujet multidimensionnel complexe nécessitant une étude attentive. Une justification utile de cette conclusion est présentée dans l'essai du professeur David Jablonsky du U.S. Army War College et intitulé « Why is Strategy Difficult? » . Au tout début de leur formation, les officiers militaires devraient prendre connaissance de cette analyse tout autant que des nombreuses thèses semblables.
L'incorporation du concept de l'art des opérations dans la doctrine anglo-américaine occidentale et française, qui a commencé durant les années 1980, a créé un nouveau domaine d'étude professionnelle reposant largement sur la théorie militaire, l'histoire militaire et l'étude des grandes campagnes militaires.
Les officiers apprennent la tactique appliquée grâce à la formation et à l'expérience. Néanmoins, à l'ère moderne, l'impact de la technologie sur la doctrine et, par conséquent, sur la tactique a soulevé des questions intellectuelles sans précédent. L'officier de carrière doit combiner théorie et pratique pour atteindre les niveaux de compétence exigés par la guerre moderne et autres formes de conflits armés.
Les officiers acquièrent leurs connaissances professionnelles tout au cours de leur carrière. Avec le temps, ces connaissances deviennent plus exhaustives et techniques. Ainsi donc, la théorie des opérations s'apprend normalement au niveau du Collège d'état-major et la connaissance efficace des rapports entre civils et militaires s'acquiert le mieux dans le cadre d'affectations progressivement plus importantes. Le rôle d'une université militaire dans le cadre de ce processus doit être analysé avec soin. La somme des connaissances suffisantes au tout début de la carrière d'un officier n'a jamais été définitivement déterminée dans quelque force que ce soit. Cependant, il est certain que les élèves-officiers ont besoin d'une initiation passablement exhaustive à la profession des armes et à ses parties constitutives. Dans les démocraties libérales post-industrielles, cette introduction comprend des études complètes en lettres et en sciences humaines et une base solide en sciences. De plus, l'étude de la théorie militaire et de l'histoire militaire est obligatoire.
La situation de la profession militaire est analogue à celle des professions médicales ou légales. En premier lieu, les candidats potentiels doivent être accrédités par le corps administratif de la profession. En ce qui concerne les militaires canadiens, cette accréditation officielle a lieu lorsqu'un officier reçoit un brevet décerné par la Reine. À cette première étape du perfectionnement professionnel de l'officier, celui-ci doit posséder une certaine masse de connaissances professionnelles pertinentes, avoir une vive compréhension de la nature globale de sa profession et une conscience totale des responsabilités sociales qu'elle comporte.
Le CMR est l'endroit tout désigné pour réaliser ce processus d'accréditation. À la fin de leur cours, tous les élèves-officiers devraient avoir une idée claire de leur statut professionnel au sein de la profession des armes, idée fondée sur une connaissance exhaustive commune des sujets qui constituent leur compétence propre. La « corporation » élargie des FC aura été présentée dans tous ses détails et l'engagement officiel des officiers envers les forces armées et le pays aura pris racine dans une conception détaillée de leurs responsabilités sociales.