Rapport au Conseil des Gouverneurs du CMR par le groupe d'étude Withers
Examen du Programme de premier cycle au CMR Excellence équilibrée :
élément moteur des forces armées du Canada à l'aube du nouveau millénaire
4500-240 (ADM (HR-Mil))
Le 24 septembre 1998
Voir : p. 10 de 81 de la copie officiele imprimée du rapport
Au XXIe siècle, les officiers des Forces canadiennes dirigeront des soldats, des marins et des aviateurs dans un milieu très différent de ce qu'il était en 1945. Les exigences professionnelles, intellectuelles, techniques et éthiques imposées aux officiers militaires par les politiques, les paradigmes stratégiques, la doctrine et la structure des forces de la guerre froide ont toutes évolué de façon plus ou moins importante.
La guerre froide a entraîné un long hiatus dans le débat sur la politique de défense au Canada. Il y a belle lurette que les Canadiens sont fatigués des mystérieuses théories nucléaires et qu'ils ne veulent plus supporter les fardeaux financiers et politiques imposés par le besoin perçu de prévenir la confrontation des superpuissances. Depuis 35 ans, c'est maintenant la première fois que les Canadiens expriment un réel intérêt pour la défense. Influencés par des médias omniprésents et libérés d'une menace directe à leur bien-être, les Canadiens exigent un compte rendu complet des déploiements proposés dans le cadre de missions ambiguës mais dangereuses.
De toute évidence, les Canadiens continuent d'accorder une priorité plus élevée à l'emploi, au déficit, aux soins de santé et à l'unité nationale qu'à la chose militaire. En même temps, les Canadiens veulent être reconnus à l'échelle mondiale. Ils sont fiers de ce qui se fait au chapitre de l'aide humanitaire, de la concurrence économique internationale et, le cas échéant, des réalisations militaires. Il serait bon que tous ceux que cela touche n'oublient pas que la compréhension du public en général des concepts de responsabilité, de reddition de comptes, de comportement éthique et de rendement professionnel est raisonnablement bien développée. Ces concepts qui s'appliquent depuis longtemps au gouvernement et au monde des affaires s'appliquent maintenant pleinement au ministère de la Défense nationale et aux Forces canadiennes.
Désormais, les chefs devront être à l'écoute attentive de la société qu'ils représentent, être capables de présenter des explications élaborées relativement à l'effort de défense nécessaire, et professionnellement aptes à fournir un rendement de premier ordre dans la conduite des opérations. Les plus grandes qualités professionnelles et personnelles liées à des aptitudes exemplaires au leadership sont nécessaires, à la fois pour mener les éléments hautement formés des FC et pour satisfaire les exigences du public relativement à un service de classe mondiale pour le pays.
Au plan international, les forces de mondialisation et de fragmentation ont créé un environnement de sécurité d'une complexité et d'une incertitude sans précédent. Le professeur James Roseneau de l'université Princeton disait en substance qu'à l'échelle mondiale,
il se peut que l'homme ait entrepris une période de turbulence jusqu'ici inégalée depuis les grands changements qui se sont produits dans toutes les facettes de la politique mondiale qui ont débouché sur le Traité de Westphalie en 1648.
Le gouvernement canadien a clairement reconnu cette nouvelle situation. Dans sa récente déclaration, Le Canada dans le monde, il conclut que « les fondements sur lesquels s'appuyait la politique de sécurité par le passé ont été ébranlés; l'ancienne menace militaire de l'extérieur posée par la confrontation des superpuissances a disparu; l'idéologie et la religion n'unifient plus; non plus que dans plusieurs pays, l'identité ethnique ne fait pas l'accord de tous » . Le bref moment d'euphorie après la chute du Mur de Berlin, alors que plusieurs espéraient l'aube d'une paix et d'une prospérité étendues, s'est rapidement dissipé. Un nouveau sens du réalisme s'est dessiné, défini dans le document intitulé Preventing Deadly Conflict (1997) de la Carnegie Corporation, qui commence par le postulat que le monde a un long cheminement à faire avant que nous puissions reléguer à l'histoire les conflits mortels à grande échelle.
Il est certes vrai que les conflits inter-états ont pris fin à l'heure actuelle. Cependant, les conflits intra-états sont plus nombreux depuis l'effondrement de l'Union soviétique. Depuis 1989, plus de quatre millions de personnes ont été tuées dans des affrontements violents. À la fin de 1997, il y avait d'importants conflits dans plus de deux douzaines d'endroits du globe. À cause de ces conflits à travers le monde, il existe au-delà de 35 millions de réfugiés et de personnes déplacées à l'intérieur des frontières.
Les forces de fragmentation, c'est-à-dire politiques, économiques, éthiques et religieuses ont produit ces guerres alors que les forces de globalisation ont créé une conscience mondiale de leurs conséquences et de leur impact. De plus, la mondialisation a créé des publics conscients des interdépendances intimes, de même que des gouvernements toujours plus conscients de la menace que les conflits et l'instabilité posent pour la sécurité internationale et le bien-être national.
De nos jours, il existe quelque 200 nations souveraines à travers le monde. Cependant, la légitimité de plusieurs de ces gouvernements est sérieusement mise en doute par leurs populations indigènes. À l'heure actuelle, il y a entre 5 000 et 8 000 « nations » ou groupes ethniques difficilement enfermés dans des frontières nationales de plus en plus poreuses. Dans de nombreux cas, les récriminations politiques sont grandement exacerbées par le dénuement économique. À l'heure actuelle, les 50 pays les plus pauvres dans lesquels se trouvent 20 p. 100 de la population mondiale comptent pour moins de 2 p. 100 du revenu mondial. Leur part continue de diminuer dans un monde où 35 000 entreprises transnationales font affaires, et dans lequel plus d'un milliard de dollars changent de main chaque jour sur le marché mondial. Comme le souligne le spécialiste international français Pierre Dumas dans The Rosy Future of War; « les guerres d'aujourd'hui sont le fait non pas des forces des états mais de leurs faiblesses ».
Les mouvements de population rendent la situation encore pire. À l'heure actuelle, les démographes prévoient que la population mondiale augmentera de plus de 50 p. 100 avant l'an 2050 pour atteindre un pic de 8 milliards de personnes. Dans le nord industrialisé, la croissance démographique est faible; par conséquent, la grande partie de cette augmentation aura lieu dans les pays où les structures des états sont déjà minées par les processus de mondialisation et de fragmentation.
Aujourd'hui, comme ils l'ont toujours fait, les gouvernements débattent avec force à savoir s'ils doivent, quand et où s'engager militairement au-delà de leurs frontières. Cependant, la pression pour le faire est sans cesse croissante à l'heure actuelle, non seulement lorsque leur sécurité territoriale ou économique est directement menacée, mais également en réaction aux violations massives des droits de la personne et/ou aux désastres nécessitant une aide humanitaire. Ces interventions sont perçues non seulement comme des affronts inadmissibles aux bons procédés et à l'humanité, mais également et souvent comme des menaces à long terme pour la sécurité nationale. Les prohibitions historiques en matière de violation des juridictions nationales et de souveraineté des états n'empêchent plus l'action préventive ou préemptive.
Nombre de gouvernements font abondamment la preuve qu'ils endossent la Commission sur le gouvernement mondial lorsqu'elle fait valoir ce qui suit :
« Lorsque les gens subissent des souffrances et des désastres à grande échelle, il faut peser le droit à l'autonomie d'un état en regard du droit à la sécurité de ses habitants. L'histoire récente démontre que des cas extrêmes peuvent se produire dans des pays lorsque la sécurité des gens est tellement mise en péril que l'action collective externe en vertu du droit international devient justifiée. »
Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, le Canada a adopté le concept de la sécurité collective. L'évolution décevante de la guerre froide a bientôt convaincu le gouvernement canadien que les mesures de défense collective comme l'OTAN et le NORAD seraient également requises dans le futur prévisible. Cependant, l'état de puissance moyenne du Canada à l'époque et sa situation relativement modeste d'aujourd'hui parmi les pays du G-7 (G-8 avec la Russie) signifient que la référence à la politique traditionnelle d'équilibre des forces et le recours sans restriction à la force militaire ne sont jamais dans l'intérêt national. Le droit international, des structures économiques stables et des régimes internationaux couvrant une variété de sujets comme l'environnement, le contrôle des armes et les droits de la personne, tout cela est essentiel au bien-être des Canadiens au plan mondial. Pour être bref, le multilatéralisme a été une des pierres angulaires de la politique étrangère canadienne depuis 1945.
Qui plus est, les stratèges canadiens restent convaincus que le fait de favoriser la paix mondiale comme moyen principal d'assurer la sécurité des Canadiens est toujours un élément central de la politique étrangère. À l'avenir, ce nouvel environnement exigera un élargissement de perspective de la politique de sécurité, qui passera d'une orientation étroite en matière de gestion des rapports inter-états à une politique reconnaissant l'importance des droits de la personne et des forces sociétales et économiques assurant une sécurité partagée. La sécurité collective et le multilatéralisme demeurent des éléments discernables d'une conception élargie d'une sécurité commune ou coopérative.
Dans le contexte stratégique se dessinant à la fin de la guerre froide, les objectifs de la politique étrangère du Canada étaient énoncés clairement dans la déclaration du gouvernement de 1995, Le Canada dans le monde. Ce sont :
- la promotion de la prospérité et de l'emploi;
- la protection de notre sécurité dans un cadre mondial stable;
- le rayonnement des valeurs et des cultures canadiennes.
Cet énoncé de politique précisait explicitement les intérêts du Canada non seulement en Europe et au sein du Commonwealth, mais aussi nos liens en rapide progression avec la région de l'Asie et du Pacifique, l'Amérique latine, le Moyen-Orient et l'Afrique. Les aspirations politiques et économiques du Canada sont nettement mondiales même si la portée de ses forces militaires ne l'est pas. Néanmoins, le ministère de la Défense nationale peut s'attendre à ce qu'on lui demande continuellement d'agir en soutien des objectifs nationaux à l'étranger.
Par conséquent, les stratèges continueront d'engager les forces armées dans une vaste gamme d'opérations dans le but d'assurer la sécurité du Canada. Elles seront normalement menées sous l'égide de l'ONU ou dans le cadre de « coalitions de pays volontaires » . Cependant, de telles opérations différeront nettement des rôles traditionnels, comme l'a été notre expérience avec l'OTAN jusqu'en 1989 et avec les forces de maintien de la paix de l'ONU jusqu'en 1988.
L'expérience depuis la fin de la guerre froide en a été une d'opérations militaires pour établir les conditions nécessaires à la réalisation d'objectifs politiques plus complexes et plus subtils. Les besoins militaires ont été plus exigeants et ils ont fait appel à des forces plus nombreuses, plus capables et plus souples. Comme le souligne Berel Rodal dans The Somalia Experience in Strategic Perspective, « de plus en plus, les situations nécessitent des opérations qui ne sont ni des opérations de guerre ni de maintien de la paix, mais qui combinent des éléments des deux et consistent à affirmer et à protéger un ordre international orienté vers des applications élargies des intérêts nationaux et des droits de la personne » .
De telles opérations n'ont pas éliminé la possibilité d'une guerre classique dont le déclenchement possible, quoique peu probable, doit continuer d'être surveillé. Sa détection stratégique hâtive mettra en branle des préparatifs opérationnels et tactiques à grande échelle. Dans l'intervalle, et dans la majorité des scénarios envisageables, une planification à moyen et à long terme se concentrera sur les « opérations précédant la guerre » . Il est souvent presque impossible de faire la distinction entre ces missions et la guerre au niveau tactique et même au niveau opérationnel.
Le nouveau contexte stratégique a été rendu substantiellement plus stimulant par l'émergence de ce que de nombreux observateurs reconnus appellent la révolution des affaires militaires. La transition post-industrielle de l'âge de la machine à l'âge de l'information transforme la nature de la guerre. Le monde de la guerre basée sur l'information en est un où sont conçus, mis au point et déployés des bombes logiques, des virus informatiques, des « chevaux de Troies », des munitions guidées de précision, des machines indétectables, des systèmes de combat radioélectroniques, de nouvelles techniques de cueillette de renseignements et de déception, des armes micro-ondes, des armes basées dans l'espace et des systèmes d'armes robotisés.
Le nouvel art de faire la guerre modifie les conceptions classiques d'attaque et de défense et estompent irrévocablement la distinction entre la guerre et la paix, entre le conflit et la concorde. Comme par le passé, ces techniques et systèmes sont exploités dans le cadre de confrontations état contre état, comme le conflit entre la coalition de l'ONU et l'Irak. Cependant, ils s'appliquent également aux conflits intra-états, aux programmes terroristes et à une diversité d'organisations étrangères à l'état poursuivant des objectifs géopolitiques et économiques.
Les opérations qui se déroulent dans ce nouveau contexte stratégique donnent lieu à d'énormes défis au chapitre de l'éducation et de la formation des futurs officiers des Forces canadiennes. Outre la nécessité évidente de posséder une compétence technique exceptionnelle, les officiers des FC devront comprendre les affaires internationales, la formulation de la politique étrangère du Canada, une pléthore de cultures dans chacune des principales régions du globe, les organismes internationaux en formation, le droit international et un nombre croissant d'initiatives de contrôle des armes, initiatives liées aux droits de la personne à l'échelle mondiale.
À l'heure actuelle, les officiers des FC ont besoin d'un amalgame particulier de connaissances techno-scientifiques et politico-militaires pour faire valoir la politique du gouvernement dans un système international incertain et complexe.